« Cristallisation »

Le titre générique qu'Hervé CHASSANIOL donne à ses peintures de format le plus souvent carré appelle quelques commentaires. La cristallisation est une opération physico-chimique qui consiste à isoler et à purifier un produit sous forme de cristaux, le plus souvent par évaporation d'une solution aqueuse.  L'eau de mer que l'on fait s'évaporer au soleil des marais salants pour obtenir les cristaux de sel de forme cubique est un exemple bien connu de cette opération. S'agirait-il, pour le peintre, d'isoler et de purifier la Peinture ?

Lorsqu'il aborde une nouvelle toile, Hervé CHASSANIOL commence par emprunter la figure d'un personnage qu'il extrait des œuvres des grands maîtres de l'histoire de la peinture. Cette figure, il la dessine au fusain sur la toile vierge, puis la simplifie et la géométrise par étapes successives jusqu'à obtenir une forme abstraite qu'il réduit à l'espace-plan du tableau pour mieux révéler la planéité de ce dernier.

 

 

 

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    Quelques étapes de réalisation d'après une figure d'Eugène DELACROIX (« La Mort de Sardanapale »).

 

« Se rappeler qu'un tableau – avant d'être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées » écrivait Maurice DENIS en 1890. Cette célèbre phrase annonce et résume, tout à la fois, la grande question que les peintres modernes ont posée : comment affirmer la réalité matérielle et planaire du tableau sans rompre avec la tradition illusionniste de la « fenêtre ouverte » héritée des artistes classiques ?

Lorsque la figure initiale peinte par Hervé CHASSANIOL n'est plus qu'une évocation fantomatique sur le plan de la toile, celui-ci réintroduit l'illusionnisme perspectif en inscrivant des cubes éclatés rigoureusement construits en camaïeu selon différents points de vue. Le jeu volontaire des brillances et des matités des matières vient renforcer l'impression d'espace ainsi produite. Les teintes utilisées sont directement issues du mélange des trois couleurs primaires du spectre coloré. Le spectateur est alors invité à s'interroger sur la double nature de la Peinture : réalité pigmentaire et planaire du tableau et, simultanément, illusionnisme spatial de l'image contemplée. Une manière, peut-être, de suggérer, à l'instar des carrés suprématistes de MALEVITCH, qu'au-delà du plan de la toile et de sa construction abstraite, il peut exister une autre dimension, un espace mental et spirituel dans lequel le spectateur est appelé à pénétrer.

La démarche créatrice d'Hervé CHASSANIOL, pour matérialiste et rationnelle qu'elle puisse paraître, accorde cependant une large part à la subjectivité et au hasard. L'élan vital se manifeste dans l'énergie du geste, dans l'empreinte des coups de brosses et les giclures aléatoires de la peinture acrylique. La réaction chimique du mélange pigmentaire crée des macules incontrôlables que le peintre - respectueux du processus naturel en cours - laisse agir sans les modifier sur la toile. Le résultat qui nous est donné à voir mêle ainsi réflexion approfondie sur l'art pictural, sensualité des matières et charge affective.

Henri BEYLE, plus connu sous le pseudonyme de STENDHAL, a proposé en 1853 dans son essai De l'amour, une autre acception du mot « cristallisation ». L'écrivain utilise ce terme pour décrire comment le sentiment amoureux pare l'être aimé de toutes les qualités imaginables.

Hervé CHASSANIOL agit en amoureux de la Peinture et, par là-même, nous convie à partager cet amour.

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Yvon ROUSSEAU